Bougon, gentil, modeste, Jean-Pierre Darroussin nous donne dans ses films une très belle illustration de la base 9.
Avec un thème central : prendre sa place.
Le bougon
De façon récurrente, les personnages qu’il joue ne savent pas gérer leur colère, ce qui est un premier trait caractéristique de la base 9. Dans la filmographie de Darroussin, cela produit souvent une bougonnerie intérieure qui peut aller du très touchant au drôle, voire au burlesque, quand cette colère sort de façon compulsive et décalée. La scène hilarante de la grenouille dans Ça ira mieux demain, où il est aux prises avec sa femme (Nathalie Baye) tranchante, spontanée et castratrice, en est la parfaite illustration.
Ses personnages n’ont de véritables accès de colère, que de façon très exceptionnelle, et celle-ci peut être d’une puissance qui les dépasse. On en a une belle illustration avec le débonnaire Panisse dans Fanny qui, face à un César (Daniel Auteuil) autoritaire et dominateur, sort de ses gonds et en vient à tirer malencontreusement un coup de feu… sur un scaphandre vide.
Le discret, gentil, modeste et effacé
Un autre trait caractéristique de la base 9 est la place laissée à l’autre, le côté effacé, qui n’attire pas la lumière des projecteurs. Le bon acteur n’est-il pas d’ailleurs celui qui joue sa partition avec justesse et qui sait, quand cela est attendu, mettre l’autre en valeur ? Darroussin excelle à ce jeu-là, et il a souvent ce genre de rôle qui éclaire celui des autres, ou une ambiance.
Une parfaite illustration en est donnée dans Un Air de Famille, petit bijou de cinéma et d’humour 2nd degré. Darroussin y joue le serveur d’un café, brimé par son patron, brimé par sa copine. Relégué au 2nd plan, voire parfois littéralement au 3ème plan sur les images, il est considéré comme faisant partie plus ou moins du décor. Mais gentil ne veut pas dire naïf, et son bon sens sert à révéler la vacuité des autres protagonistes, et l’absurdité de leur relation. Dans un superbe rock des opprimés avec Catherine Frot, il prend sa revanche sur les mesquineries dont il est victime, et nous livre un très bel éloge du bonheur simple, cueilli quand il se présente, sans besoin d’écraser qui que ce soit.
Le bon copain
Dialogue avec mon jardinier est pour moi le plus grand rôle qu’il nous a offert. Comme dans tout duo, le film joue sur une série de contrastes : entre les conditions sociales, mais aussi sur quelques traits de personnalité comme le sous-type ennéagramme ( survie opposé au social ,) ou encore le côté concret-terre-à-terre opposé au côté imaginatif-intellectuel. Ces mécanismes produisent leur effet, mais ce ne sont pas eux qui font la qualité du film.
La réelle opposition est à un autre niveau. Ici c’est l’autoritaire et fanfaron Daniel Auteuil qui, dans son rôle, est chargé de s’effacer pour que la lumière soit posée sur son modeste jardinier – qui est aussi son copain d’enfance. Darroussin occupe d’emblée le premier plan, et nous livre un très beau personnage de base 9, profond et touchant.
On comprend vite que pour Auteuil, ce modeste jardinier devient quelqu’un d’important, reprend une place qu’il n’a jamais su trouver dans la vie. Si d’emblée il parle trop, s’impose souvent, on lui pardonne volontiers, parce qu’on perçoit bien qu’il n’a su trouver pas l’espace pour le faire ailleurs.
On rentre dans la petitesse et la grandeur d’un homme, qui vit dans le présent mais reste coupé de ses émotions, qui souffre dans son corps mais ne se plaint jamais. Le petit monsieur a une beauté d’âme qui touche son compagnon égoïste et le fait grandir, l’amenant à s’intéresser aux autres de façon sincère.
Sous les feux de la rampe, Darroussin nous livre un bel éloge, sensible et inspirant, de la modestie, de la simplicité des relations, du bonheur de se satisfaire de l’essentiel. Un beau film atemporel, à voir ou à revoir !
La trajectoire d’un comédien
Le vrai Jean-Pierre Darroussin se retrouverait-il en base 9 s’il faisait un stage ennéagramme ? Lui seul peut le savoir, mais cette probabilité paraît assez élevée.
Un autre acteur, Michel Blanc, disait qu’il s’identifiait volontiers à son personnage de Jean-Claude Dusse. Il expliquait en particulier que pour trouver son clown intérieur, il avait dû jouer avec ses propres névroses. Cette phrase m’a marqué, et je constate que plusieurs acteurs suivent cette trajectoire, de se connecter d’abord à leur clown intérieur, pour trouver ensuite le chemin de très beaux rôles dans un registre dramatique. Blanc, Coluche et bien d’autres… il me semble voir dans la filmographie de Jean-Pierre Darroussin cette même évolution, qui nous offre différentes variations de la base 9.
Cela me dit que le cinéma est un beau miroir de l’âme, et que le métier de comédien est une aventure extraordinaire – difficile, certainement, mais probablement passionnante ! Incarner un rôle, n’est-ce pas se confronter à soi-même ? Je suis convaincu que la trajectoire d’un acteur est un très beau chemin de développement et de croissance personnelle.
Et l’ennéagramme dans tout ça ? Peut-être un simple catalyseur pour mieux découvrir l’infinie richesse de notre personnalité… mais c’est déjà beaucoup !